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Hétérotrophies

Marie-Ève Martel

Dans sa plus récente exploration sculpturale et installative intitulée « Hétérotrophies », l’artiste utilise le mobilier et l’architecture du lieu d’exposition lui-même pour mettre en scène une joute spatiale au cours de laquelle divers motifs organiques refaçonnent l’espace architecturé. Les socles et les murs sont « grugés », troués ou recouverts par des champignons ou lichens de toutes sortes, parfois cachés, parfois à vue, et à l’occasion un motif géométrique se met à pousser au travers.

Le jeu d’échelle du petit au grand qui active l’espace de la galerie – depuis chaque petite forme organique à l’ensemble d’un système qu’on pourrait deviner derrière chaque mur, sous le plancher et au-delà – renvoie aussi au monde extérieur et devient une sorte de double métaphore de cette « lutte spatiale » qui prend place et transforme constamment notre monde ; L’humain qui construit et étend son territoire et consume la nature – l’envahisseur, le parasite de la nature – et inversement, la nature qui cherchera toujours à reprendre son droit, détruire les constructions humaines par la force du temps. Voilà la danse qui s’exprime formellement et poétiquement dans les sculptures et installations de l’exposition Hétérotrophies.

Qu’est-ce que l’hétérotrophie ?

Dans le monde du vivant, deux modes d’alimentation existent; l’autotrophie et l’hétérotrophie. Le règne des fungi (champignons et lichen) et le règne animal (auquel nous appartenons) font partie du second mode d’alimentation, l’hétérotrophie. Du grec, hétéro signifiant autre et trophê signifiant nourriture, un organisme hétérotrophe se nourrit d’un autre organisme ou de matières organiques ayant déjà métabolisé pour lui le carbone. Chez les fungi, on peut subdiviser à nouveau en 5 modes alimentaires: le saprophytisme (recyclage de matières mortes ou en décomposition), le parasitisme (destructeur à l’égard de l’hôte), la symbiose (bénéfique pour l’hôte), le commensalisme (ne nuit ni ne profite à l’hôte) et le carnivorisme (déploie des pièges pour attirer les proies).

Les œuvres présentées dans le cadre de cette exposition sont l’aboutissement d’une recherche formelle et symbolique portant sur la relation imaginaire entre architecture (représentant l’humain) et le règne fungi. Intégrant une panoplie de motifs fongiques et de structures géométriques comme « protagonistes », les sculptures empruntent le même type de « comportements » décrits plus haut comme modes de croissance/construction.

Les hétérotrophies de l’artiste sont donc une sorte d’épreuve de l’espace, une réflexion et un travail sur le cycle de la matière et de l’espace (voir territorialité). En somme, voici son monde imaginaire poétique et ludique qui s’amuse, et se joue du règne «d’un règne».

Marie-Ève Martel est titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM et récipiendaire de plusieurs prix et bourses. Elle remercie le CALQ pour ce projet.